« Dit-on souvent : on ne peut pas faire d’omelette sans casser d’œufs », répond l’une des autorités responsables du barrage de Bamendjing lorsque nous lui demandons ce que l’État a entrepris et prévoit de faire concernant le lourd tribut payé par les communautés riveraines lors de la construction du barrage de Bamendjing, ainsi que la souffrance que continuent de subir les populations par les faits des activités du barrage. A la suite, l’autorité ajoute : « l’Etat leur a clairement indiqué qu’il ne peut pas répondre à leur préoccupation ».
Le dicton, en référence à la première citation, met en exergue les préjudices infligés aux communautés lors de la construction du barrage de Bamendjing. Plus de 10 villages ont été rayés de la carte de la région sans qu’aucune mesure de relocalisation ne soit mise en place, Comme l’affirme l’autorité traditionnelle du village Ngambou : « Avant le barrage, il y avait les champs, certaines personnes habitaient labas. Lorsqu’on a construit le barrage, l’eau a envahi les terrains et les champs de gens. Ça a détruit les choses : plantations, habitations et autres ». Son interprète ajoute : « Le barrage ne nous donne rien, on nous a chassé et on ne nous a pas recasé. Et quand le terrain se libère un peu, on envoie les bœufs pour manger tout ce qu’on a mis au sol ».
Les indemnisations annoncées par l’État en faveur des victimes n’ont pas été versées, car elles ont été détournées par des agents de l’administration publique et les chefs des grandes chéfferies. Bien que les responsables de ce détournement aient été identifiés, les fonds d’indemnisation n’ont jamais été redistribués aux victimes, les laissant errer sans espoir, avec leurs familles. Les survivants de cette tragédie, perpétrée par les administrateurs publics au nom de l’État, racontent encore aujourd’hui avec une grande émotion cette injustice et ce traumatisme qui ont bouleversé leur existence de manière irréversible. Pour eux, « l’État ne protège pas, mais colonise, fait souffrir ses sujets sans la moindre compassion » : affirme l’une des victimes encore en vie.
La deuxième citation met également en lumière les conséquences socioéconomiques réelles des activités du barrage sur les villages riverains. Bien que l’État soit conscient de ces méfaits, au lieu d’encourager des dialogues inclusifs pour trouver des solutions concertées aux préoccupations des populations locales, il affiche clairement son mépris et son refus de collaborer avec celles dont les ressources naturelles sont exploitées et les moyens de subsistance durables sont négativement affectés. De plus, ces populations ne bénéficient pas de l’électricité. Les activités agricoles, de pêche et d’élevage sont perturbées par les opérations du barrage, mais aucune mesure d’atténuation n’est mise en place par l’État. Actuellement, les riverains souffrent de diverses maladies hydriques causées par les eaux du barrage, mais l’État ignore les revendications des populations qui demandent que l’eau soit traitée pour réduire la prolifération des vecteurs responsables de ces maladies.
Un responsable du centre de pêche exprime ce mécontentement de la manière suivante : « Les populations se plaignent beaucoup. Parce que là où il y a le barrage, il y a la lumière. Comment donc accepter qu’il y a le barrage et il n’y a pas la lumière ». Un chef traditionnel de Bamendjing l’enrichit en ces termes : « On a le barrage, on n’a pas de l’eau, on n’a pas de lumière, on a seulement les maladies. Voilà ce que le barrage nous a apporté. En conclusion, nous souffrons énormément pour ce barrage. S’il n’y avait pas le barrage, on devrait avoir nos terres, s’il n’y avait pas le barrage, je ne devrais pas avoir beaucoup de problème de cécité, les aveugles, les malvoyants, le paludisme. Si vous allez au Centre de santé intégré, vous allez voir labas que c’est le paludisme la principale maladie des populations ».
Par Alain DJAWA WALIDJO