Deux choses plombent le débat sur le changement au Cameroun de nos jours : le fédéralisme et l’alternance. D’une part, vous avez des gens qui pensent que c’est le préalable à tout changement et que tout discours qui ne préconise pas le fédéralisme et qui ne dit pas que Biya doit partir n’est que distraction. D’autre part, vous avez des gens comme moi qui pensent au regard des expériences déjà vécues à travers l’Afrique, que ces deux facteurs sont secondaires et qu’il faut se concentrer sur l’alternative. Biya part en vue de quoi?
Nous avons commencé à régler ce contentieux en fin de semaine dernière avec les fanatiques du fédéralisme. Nous sommes tombés d’accord que le fédéralisme n’était pas une panacée. Cela permettrait en l’état actuel de résoudre un problème politique, voir identitaire, mais cela ne fera pas pousser le maïs dans le champ de celui qui n’aura pas labouré et semé. Nous avons dit clairement que le fédéralisme n’était pas une politique publique. Le débat sur le fédéralisme n’était pas un débat de fond, mais un débat de forme. Pour ma part, la forme choisie m’importe peu. Je suivrai la décision politique en vigueur. Toutefois, je resterai concentré sur le fond, à savoir le débat sur les politiques de développement.
Cette semaine, je m’attaque au modèle économique appliqué dans notre pays et que beaucoup d’opposants, même parmi les plus représentatifs, ne se proposent pas de changer. Je défends que l’alternance au pouvoir sans changement de modèle de développement n’est pas productive. C’est un saut dans le vide! Certains veulent faire croire que la solution « paracétamol » pour le développement du Cameroun, c’est l’alternance : NON ! Il y a déjà eu 19 alternances au pouvoir au Bénin sans changement. Be careful ! La vie de Biya au Palais ne nous intéresse pas dans la mesure où chacun a sa vie chez lui. C’est connu que les gens aiment le kongossa mais, il faut s’attaquer à ce qui nous concerne. Par exemple, la pauvreté.
DE QUOI EST-IL QUESTION ?
Selon l’Institut National de la Statistique (INS), le taux de pauvreté est passé de 40,2% en 2001 à 37,5% en 2014 mais, le pays n’a pas atteint d’une part, les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et d’autre part, les objectifs modestes de réduction à 28,7% du taux de pauvreté, comme indiqué dans le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE) qui arrive à échéance cette année en 2020. Où réside le problème?
L’APPAUVRISSEMENT DES RURAUX
Au Cameroun, 60% de pauvres qui ne disposent pas suffisamment de ressources pour satisfaire leurs besoins fondamentaux se trouvent en milieu rural, or, ils sont le parent pauvre de la politique de développement appliquée de nos jours. Selon la Banque Mondiale, le seuil de pauvreté est fixé à 2 dollars par personne et par jour. En chiffre, cela représentait 8,1 millions de personnes en 2014 au Cameroun. Selon l’INS dans son rapport de la 4ème enquête auprès des ménages (ECAM 4), «la croissance entre 2007 et 2014 a été non-inclusive, en ce sens qu’elle bénéficie aux ménages les plus aisés et très peu aux populations pauvres». Le premier problème est donc celui de l’inégalité : le modèle de développement camerounais n’est pas inclusif et « pro-pauvre ». Par exemple dans sa nouvelle politique foncière en milieu rural, le gouvernement n’est pas en train de faire une réglementation pour faciliter l’accès des paysans propriétaires terriens au marché financier en vue de résoudre leur problème de pauvreté monétaire. Au contraire, il est en train de les exproprier pour introduire leurs terres dans le domaine privé de l’Etat en vue de centraliser la gestion de la propriété foncière et de constituer une réserve agro-alimentaire pour les investisseurs et autres multinationales (accaparement des terres des pauvres). Par conséquent, les pauvres demeureront pauvres, dépendants et à l’étroit dans leur propre environnement. Dans la région anglophone actuellement en crise, les pauvres paysans pourtant propriétaires terriens étaient expropriés de leurs terres au profit des grandes firmes agro-industrielles (agriculture de seconde génération). Or, il fallait plutôt transformer les paysans en entrepreneurs ruraux crédibles sur le marché financier. En l’état, l’Etat importe quelques capitalistes en milieu rural pour exploiter les pauvres (projet agropole qui est un projet de colonisation du monde rural). Or, il faut faire une simple reconnaissance des droits de propriété des paysans sur leurs terres et faire l’attribution d’un statut formel à leurs différents métiers ruraux dont l’agriculture qui demeure informelle. En 2020, où est passé le statut de l’agriculteur ? L’Afrique traîne cette curiosité économique et politique qui veut que le plus grand secteur créateur de richesse ne soit pas organisé. Nous sommes ces citoyens qui ne sécurisent pas leur source principale de revenu. Il faut remédier à la situation et assurer l’assouplissement des procédures d’immatriculation et la réduction de leur coût pour à la fois sauvegarder et valoriser le capital foncier des paysans. En 2020, les coûts liés à la sécurisation du foncier sont intenables pour les paysans.
DES STRATEGIES DECONNECTEES DU CONTEXTE
Je reviens sur cette aberration dans le modèle économique actuel en ce qui concerne sa velléité à vouloir importer le développement en milieu rural. Au mépris des approches participative et inclusive, l’Etat s’exerce à développer l’agriculture sans s’appuyer sur la population agricole déjà active (environ 9,4 millions de personnes). Il travaille à importer artificiellement de nouveaux investisseurs, attirés uniquement par l’effet d’aubaine, qui manquent de maîtrise de l’environnement agricole en milieu rural et qui finissent presque toujours par déserter au bout de quelques années. A chacun son métier ! Au final, l’Etat se retrouve dans un cercle vicieux de recherche perpétuelle de nouveaux investisseurs pour le monde rural. Par exemple en 2020, il est très difficile de retrouver les traces des bénéficiaires du Projet d’Amélioration de la Compétitivité Agricole (PACA) clôturé en 2015. Dans la filière riz concernée, 97,06% demeurent importés selon un rapport de l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (ACDIC). Ainsi, 60 millions de dollars sont partis en fumée ! Au seul ministère en charge de l’agriculture (MINADER), l’on dénombrait 45 projets du même genre en 2012 sans que l’on ne puisse parler de succès dans la lutte contre la pauvreté. Il convient désormais de soigner la pauvreté en ciblant directement les pauvres. Jusqu’ici, l’on lutte contre la pauvreté en soutenant l’investissement des riches. Il faut faire exactement l’inverse. Il faut lutter contre la pauvreté en ciblant directement les pauvres et en soutenant le faible investissement des pauvres. La logique est de soutenir le petit pour qu’il grandisse au lieu de se contenter à ne soutenir que ceux qui sont déjà grands et dont les activités peuvent avoir pour externalité positive la lutte contre la pauvreté. NON et NON !
Il faut tourner la page des organisations opportunistes : 70% des 123 000 groupements d’initiatives communs (GIC) bénéficiaires au Cameroun étaient fictifs (non-fonctionnels) de même que 82% des 3000 sociétés coopératives enregistrées. Ces organisations créées la plupart du temps par des fonctionnaires n’ont existé que le temps de bénéficier des financements publics. L’Etat doit s’appuyer sur l’existant et avoir pour objectif d’autonomiser les paysans afin qu’ils deviennent riches au lieu de continuer à vouloir planter les urbains en milieu rural. L’on ne peut pas promouvoir le monde rural en marge des paysans…
Camer.be du 30 juin