Le compromis entre les exploitants de carrières, les élites politiques et les responsables des administrations locales, centrales et décentralisées, constitue une réalité troublante découverte sur le terrain. Ces autorités, qui sont censées veiller au respect de la réglementation pour des opérations de carrière bénéficiant équitablement à toutes les parties et sans causer de dommages environnementaux, se compromettent avec les exploitants de carrières de pierres.
Selon les études menées par Earth Cameroon dans différentes localités de Yaoundé faisant l’objet d’exploitation des carrières de pierres, cette compromission se manifeste de plusieurs manières, toutes aussi préjudiciables les unes que les autres pour les populations locales.
(1) La manipulation. Les autorités et les exploitants de carrières utilisent des tactiques trompeuses pour contrôler et influencer les populations locales. Ces dernières prennent la forme de désinformation, de propagande ou de tactiques de persuasion coercitives.
(2) Les faux espoirs sont souvent utilisés pour apaiser les inquiétudes des populations locales. Des promesses vides sont faites, créant une attente d’amélioration qui ne se réalise jamais. « Nous souffrons beaucoup, les arbres qui étaient labas, ils ont tout coupé. Quand un mauvais vent vient, il passe ici et une maison qui n’est pas solide s’envole. J’ai parlé au maire, il m’a dit d’attendre. Ça fait déjà longtemps, pas de suite. » (Entretien à Fébé le 16/11/2023)
(3) Les menaces et l’abus de pouvoir sont couramment utilisés pour réprimer toute manifestation de mécontentement des populations locales à l’égard des exploitants. Cela crée un climat de peur et d’intimidation qui empêche les populations de revendiquer leurs droits.
(4) Le mépris et la non prise en compte des préoccupations des populations sont également courants. Les besoins et les préoccupations des populations locales sont souvent ignorés, ce qui renforce leur sentiment d’impuissance et d’injustice. « Tu vois le maire, ce dernier ne fait rien parce qu’il a déjà pris son enveloppe, le sous-préfet même chose et autres. On va donc faire comment ? » (Entretien à Akak II le 29/11/2023)
(5) Le détournement des fonds destinés aux populations riveraines est un autre problème majeur. Les ressources qui devraient bénéficier aux communautés locales sont souvent détournées aux profit des autorités et des exploitants de carrières. Un chef de bloc affirme à propos : « Loin de les juger, les patrons sont presque l’Etat, on ne peut que faire des plaidoiries, peut-être que l’Etat a trouvé mieux. Mais en trouvant mieux, les populations souffrent, est-ce leur souhait de voir les populations souffrir ? » (Entretien à Fébé le 16/11/2023). A ceci s’ajoute le témoignage d’une autorité locale qui a refusé de se faire manipuler :
« C’est ça mon véritable problème. Ils sont là pour s’enrichir et peuvent contribuer au développement mais nos gouvernants, que font-ils, ils détournent cet argent. Ils exploitent notre matériel. Moi j’ai un sentiment amer. Je constate seulement que c’est la hiérarchie qui mange et le bas peuple souffre, ce n’est pas bien. Tout ce que nous leur demandons, qu’ils prennent leurs millions labas mais qu’ils nous mettent à l’aise en construisant des centres de santés, les adductions en eau, les routes, les écoles. Qu’ils prennent les centaines des millions labas, ça leur engage, mais qu’ils contribuent au développement et non l’appauvrissement des populations riveraines ». (Entretien à Akak II le 29/11/2023).
(6) L’exclusion des populations de la plate-forme de concertation est une autre manifestation de cette compromission. En privant les populations locales de leur droit à participer aux discussions et aux décisions qui les concernent, les autorités et les exploitants de carrières renforcent leur contrôle et leur pouvoir. Aux populations, les exploitants disent « (…) qu’ils traitent avec les gens d’en haut, les gens de la présidence, le gens du palais » (Entretien à Edimi le 22/11/2023).
En somme, cette compromission se manifeste par une série d’actions et de comportements qui nuisent aux populations locales et favorisent les intérêts personnels des autorités et des exploitants de carrières.
Par Alain DJAWA WALIDJO.