La grogne couve au sein de la population à laquelle un redémarrage imminent du chantier avait été annoncé en novembre 2019.
Sur le site des travaux du Projet de l’aménagement hydroélectrique de Bini à Warak (Pahbw), situé à environ 70 km de Ngaoundéré, dans l’arrondissement de Ngan-Ha, on dénombre 11 Chinois qui s’occupent à l’entretien des machines et engins, et 12 Camerounais qui veillent au maintien des espaces verts et mènent de petites activités courantes.
«C’est un arrêt généralisé des travaux du .barrage. Et la population est sur le pied de guerre. On attend toujours les indemnisations. Ces populations riveraines sont fâchées parce qu’on leur a empêché de faire leurs champs, alors que rien ne démarre depuis. Ces personnes sont déboussolées. Il y en a qui menacent, car elles sont mécontentes», fait savoir une source dans le collectif des riverains à indemniser.
Contactée par votre journal, la direction du Pahbw à Yaoundé est claire. «La pandémie et ses restrictions obligent à revoir les ambitions à la baisse, et Bini à Warak n’échappe pas à la règle», clame une source. A la base du projet dans la localité de Bini à Warak, les avis sont concordants avec Yaoundé. «Rien n’a bougé, le projet est à l’arrêt à cause de la crise sanitaire. Les travailleurs ont été mis en congé technique, il n’y a que quelques-uns qui sont là pour garder le site, soit 12 Camerounais et une dizaine de Chinois», fait savoir une source.
Une autre, plus indicative et diserte, rappelle que bien avant la crise sanitaire, «on essayait déjà de continuer pour garder le chantier. Nous faisions quelques petites activités. Mais, avec la crise sanitaire, on a tout arrêté. On va seulement attendre le financement pour une reprise. Car, le plus grand problème, c’est le financement. C’est une banque chinoise qui doit débloquer ce financement et les Chinois sont en train d’hésiter. Si l’argent est là, le chantier sera relancé. En fait, la crise sanitaire est seulement venue trouver qu’il n’y avait plus déjà grand-chose à faire. Et il ne fallait pas prendre le risque d’une contamination des travailleurs de ce projet, alors qu’il n’y a rien à faire».
Et ce dernier de préciser : «Le directeur du projet a dit qu’ils sont actuellement en discussion avec la banque chinoise. Tout laisse croire que les pourparlers sont en bonne voie et que ce sera débloqué. Donc, peut-être à la fin de la crise du coronavirus, le projet pourra être relancé. Le gouvernement est en train de fournir beaucoup d’efforts certes, mais nous ne savons pas s’il va pouvoir convaincre la banque en question. Au moins, du côté du gouvernement camerounais, tout est prêt, même la prime d’assurance est déjà positionnée. Maintenant à la banque de débloquer les fonds».
Dans l’arrondissement de Ngan-Ha, en général, il est plus aisé de dire : assurance, d’accord, mais inquiétude, d’abord. Car, le constat fait sur le site des travaux d’aménagement du barrage hydroélectrique de Bini à Warak le 04 novembre 2019, notamment l’arrêt du chantier, n’a pas changé. Le responsable de l’entreprise Sinohydro en charge des travaux, Dong Manqiang, indiquait alors que la centrale à béton tournait, et que les 350 000 m3 de moellons estimés pour l’infrastructure pouvaient être disponibles au vu de la disponibilité en grande quantité du gravier et des milliers de tonnes de sablé simple et de sable carrière. Mais, malgré ce potentiel, la carrière est au point mort.
Menace de soulèvement
Le chantier, qui devrait employer des centaines de Camerounais et environ 200 Chinois, comptait, au 4 novembre dernier, une vingtaine de Chinois et une centaine de Camerounais. Une bonne frange de ce personnel, une fois encore, a effectivement été mise en congé technique pour cause d’interruption de travaux. L’annonce de la reprise des travaux au cours des «prochaines semaines», faite en novembre 2019, est restée au stade d’une simple annonce. En outre, une note d’information du Pahbw indiquait que « l’élan des travaux sur le site du Projet a été récemment freiné par un mouvement d’humeur de certains employés, suite à une détérioration du climat socio-économique.
Au rang des employés mis en congé technique, ceux recrutés parmi les populations environnantes étaient en grand nombre. Informé de la situation, le Premier ministre, chef du gouvernement, a dépêché sur place une mission gouvernementale comprenant le ministre de l’Eau et de l’Energie, en sa qualité de maître d’ouvrage, et le ministre du Travail et de la Sécurité sociale. Après avoir touché du doigt la réalité des problèmes posés, la mission gouvernementale a annoncé des mesures adéquates pour ramener la sérénité. Avec la signature effective du contrat des travaux intervenue au début du mois de septembre dernier et la levée des contraintes internes de la banque chinoise qui accompagne financièrement le Projet, la reprise des travaux sur le site du projet est envisagée dans les prochaines semaines».
Selon ladite note, les études relatives à la réinstallation des populations de la zone du Projet étaient quasiment achevées. Mais, cette population manifeste déjà une certaine impatience. Les activités de pêche de certains riverains gagnent en intensité sur la rive gauche du barrage, où les travaux d’excavation ont été faits depuis environ deux ans. Mais en dépit de tout, l’espoir demeure. Même si les grincements de dents s’amplifient.
Ces grincements de temps tiennent de ce que depuis février 2019, le chantier de l’unique projet structurant des trois régions septentrionales du Cameroun est à l’arrêt. A l’origine de cet arrêt, les parties ont d’abord invoqué les difficultés financières. En effet, apprend-on de bonnes sources, jusqu’à cette période, l’État camerounais peinait à payer le reliquat de 4 milliards de FCFA de frais d’assurances (13 milliards de FCFA au total), qui conditionnait le déblocage du financement d’Eximbank China relatif à ce projet. Ensuite, il y avait des arbitrages à faire au sein du gouvernement, notamment sur l’imputation des différents impôts relatifs au contrat passé avec Sinohydro, cette entreprise ayant été exonérée de toutes les taxes.
En dépit du déblocage total des frais d’assurances, ainsi que l’indique une source plus haut, la procédure de déblocage des financements semblent s’éterniser, mettant en péril ce projet qui devrait permettre de doter la partie septentrionale du Cameroun d’un nouveau barrage d’une capacité de 75 MW. Cette infrastructure énergétique est pourtant très attendue dans les trois régions septentrionales du Cameroun, dans la mesure où elle permettra de suppléer le barrage de Lagdo, qui nécessite 100 milliards de francs Cfa pour sa réhabilitation, et dont les 72 MW de capacité installée sont souvent réduits de moitié, à cause de l’ensablement du réservoir.
Actu Cameroun, 5 juillet 2020