Conditions de vie des populations riveraines, inondation des plantations, déforestation, émission des gaz à effet de serre, menaces sur les grands primates. Global Forest Watch et Saild accusent. Les mesures prises par Edc conformément aux normes environnementales et sociales de la Banque mondiale. Notre dossier.
Malgré les bénéfices économiques générés par les barrages, leur construction et leur exploitation ont conduit à d’importants impacts sociaux et environnementaux négatifs, relèvent dans un récent rapport, Global Forest Watch et le Saild, deux ONG. Le document consulté par le Jour et intitulé Barrage hydroélectrique de Lom Pangar, coût socio-environnemental de l’électricité, rappelle que les grands barrages ont causé, dans le monde, le déplacement de plus de 80 millions de personnes, l’ennoiement d’une multitude d’habitats naturels de la faune et de terres agricoles, la destruction d’un grand nombre d’écosystèmes aquatiques. Le prix environnemental et social à payer pour l’implantation des grands barrages semble trop élevé. « Qu’en est-il de celui de Lom Pangar ? », s’interrogent les auteurs du rapport. Le rapport parle de « dégâts environnementaux et sociaux du plus grand barrage réservoir du Cameroun »
Les changements environnementaux de la zone sont « impressionnants », note le rapport, sept ans après la pose de la première pierre de construction du barrage, une retenue d’eau d’environ 540 km2. « Au Cameroun plusieurs acteurs s’intéressent aux projets d’infrastructures ou industriels lorsqu’ils sont dans les phases d’études et de mise en place, mais une fois les projets réalisés très peu de travaux sont faits pour montrer concrètement les changements qu’ils ont apportés et ceux qui sont faits ne s’intéressent pas aux effets néfastes de ces projets sur l’environnement et les populations locales et autochtones », commente Ghislain Fomou Nyamsi, chef de programme au Saild.
Le rapport évoque un paysage naturel métamorphosé : « La zone de Lom Pangar était caractérisée par sa richesse en habitats naturels. En 2012, elle était couverte à plus de 90% par des habitats de forêts, suivis à 8,4% par des espaces naturels plus ouverts (savanes arbustives et arborées) et des installations humaines, et ensuite 0,6% par des cours d’eau. En 2019, le changement est drastique : on observe 52% de couverture par les forêts, 4% par les cours d’eau et 44% par les autres types d’occupation des sols. »
Perte
Selon Global Forest Watch, « En 7 ans, c’est plus de 36 000 ha de forêts qui sont comptés en perte » En cause, les travaux qui ont consisté à couper les forêts pour l’implantation du site du barrage et pour la construction des sites de recasement des populations déplacées. D’autres espaces forestiers ont été ennoyés par les eaux du lac créé suite à la mise en eau. « En termes de richesse forestière et économique, c’est une énorme perte pour le Cameroun », note le rapport. Les forêts décimées étaient en partie un habitat pour les grands mammifères de la zone dont certains sont protégés et endémiques (Gorilles, Chimpanzés, Colobe Noir).
Le rapport note aussi des changements dans le milieu aquatique de la zone,dus « à l’inondation des forêts par les eaux de la retenue depuis 2015, une grande quantité de matière organique se décompose dans le lac de la retenue, affectant ainsi sa turbidité et sa qualité, ce qui en retour a une conséquence sur la variété et la disponibilité des espèces aquatiques. » Global Forest Watch et Saild observent la diminution de la biodiversité dans les milieux aquatiques et forestiers. « En 2004, on dénombrait une trentaine d’espèces de poissons dans les cours d’eau de la zone12. A ce jour, dans les deux grands cours d’eau où regorgeaient cette diversité ichtyologique, on ne rencontre que quelques variétés de poissons à savoir les carpes, silures, machoirons (en très faible quantité) et les petits poissons communément appelés shum. »
Quant aux populations des grands primates, le rapport consulté par le Jour relève la perte de forêt sur leur habitat de protection notamment le parc national de Deng Deng. « Ces grands primates sont de fait désormais en divagation jusque dans les villages riverains du parc national de Deng Deng Ils sont ainsi exposés à la riposte des populations lorsqu’ils se retrouvent dans les zones d’habitation et les champs. »
La zone du barrage connaîtrait une forte augmentation de la température moyenne depuis 2012. Ceci serait la conséquence de la déforestation et la décomposition de la biomasse dans le lac de la retenue. Le phénomène de décomposition de la biomasse a été déclenché par l’immersion de la végétation forestière au moment de la mise en eau du barrage entraînant l’émission du méthane, un puissant gaz à effet de serre. Et expliquerait l’élévation des températures moyennes et l’irrégularité des saisons pluvieuses.
Modes de vie
Selon le rapport, la construction du barrage a affecté les modes de vie (habitude alimentaire, rites et culture et éventuellement les activités socioéconomiques) et les conditions de vie des populations riveraines. »La création du parc national de Deng Deng implique l’interdiction d’accès des communautés à la forêt pour se procurer de la viande. Les populations sont donc obligées de se tourner vers d’autres sources de protéines pour leur alimentation qui sont pour ces derniers jugés plus onéreuses », mentionne le rapport. On apprend que l’agriculture générait 64% des revenus familiaux, suivi de la chasse (14%) et de la pêche 8%. Après la mise en eau du barrage de Lom Pangar, l’activité de pêche a connu un essor. Problème : « Désormais la pêche se fait sur le lac artificiel créé. Dans le village Ouami, au débarcadère, on peut voir l’étendue de cette activité, grâce aux produits de pêche poisson frais, fumé ou séché. Toutefois, cette activité bien que développée dans la zone et rapportant d’importants revenus dans des ménages, ne bénéficie pas directement aux populations locales. La pêche qui se pratique dans la zone est désormais intensive et appelle à de nouvelles pratiques non maîtrisées par les locaux.
L’activité de pêche est pratiquée par les allogènes venus principalement des autres grands barrages du pays (barrage Lagdo dans l’extrême nord, Magba à l’ouest …), grâce à leurs expériences de pêche dans de grand lac. Quant à la commercialisation des produits de pêche, celle-ci est prise d’assaut par les commerçants venus de l’ouest et des autres régions du Cameroun. » Aussi, les conflits latents des terres naissent entres les différentes communautés. Les pressions sur les terres se font déjà ressentir. Le Plan de gestion environnementale et sociale (PGES) et le plan d’indemnisation et de réinstallation (PIR), qui orientent l’application des mesures de protection environnementale et sociale ont bien été élaborés en ligne avec la réglementation en vigueur et les principes opérationnels applicables de la banque mondiale. « Toutefois, note le rapport, il revient à questionner et analyser l’adaptabilité de ces mesures au vue des impacts et défis actuels enregistrés sur le terrain notamment pour la conservation de la biodiversité, les conditions de vie des populations locales et les droits des populations à l’occupation des terres. » Précison, Lom Pangar a été réalisé conformément aux normes environnementales et sociales de la Banque mondiale.
Actu Cameroun du 13 Juin 2020