Le Jour, 1er septembre
C’est une pratique qui est devenue courante dans certaines localités du Cameroun. Des ministres, directeurs généraux de sociétés publiques, hauts gradés de l’armée et autres privilégiés de la République, qui se lancent dans l’achat compulsif de terres. Dans ces acquisitions foncières effrénées, il n’y a désormais plus de place pour la décence. Un individu à lui tout seul s’octroiera 10, 15, 20 ou 25 ha de terrain. Toutes ces terres s’acquièrent au franc symbolique, dans les contrées parfois très lointaines. La manoeuvre procède pourtant d’un stratagème bien rôdé.
Ces personnalités, profitant de leur position au sein de l’appareil gouvernant, disposent des informations de première main sur les futurs chantiers de l’Etat. Elles savent avant tout le monde le tracé de la prochaine autoroute, du prochain port, d’un futur aéroport, etc. C’est fort de ces informations 10 ans avant le lancement desdits chantiers que ces hautes personnalités s’accaparent des terres. Pour toute mise en valeur de celles-ci, elles y mettent quelques plants de cacao ou de palmier, ou y construisent des cagibis sans valeur. Le but ultime étant d’émarger le moment venu sur le colossal budget d’indemnisation des populations situées sur le site du projet. A titre d’exemple, l’Etat du Cameroun a dépensé plusieurs milliards de FCfa pour l’indemnisation des populations expropriées dans le cadre du projet du port en eau profonde de Kribi.
Il s’agit là de graves délits d’initiés dénoncés en 2011 par la Conac dans son rapport sur l’état de la corruption au Cameroun. « L’occasion faisant le larron, écrivait la Conac, nombre de Camerounais venant de tous les horizons et d’étrangers, de peu de scrupules, pourvus d’un flair affairiste et moralement pas du tout intègres et sans doute informés à travers des réseaux mafieux, se sont rués dès 2008 sur la zone destinée à être expropriée. (…) Il n’est point besoin d’établir que le projet de construction du Port en eau profonde de Kribi a suscité des vocations criminelles ayant allègrement conduit à un complot financier contre l’Etat du Cameroun. (…) Jamais avant 2009, la zone en cause n’a connu une telle effervescence de demandes et d’obtention, coûte que coûte, d’un nombre ahurissant de titres fonciers. »
Sur le terrain, les populations expropriées se retrouvent au moment des paiements en compagnie de personnes qu’elles ne connaissent ni d’Adam ni d’Eve. Ce fut le cas le mois dernier à Lobo dans le département de la Lékié. Des hommes et femmes avaient bloqué la route dans le but de voir clair dans le processus d’indemnisation des riverains de l’autoroute Yaoundé et Douala. « Des individus que nous ne connaissons pas font partie de la liste des personnes à indemnisées. Il y a une grosse mafia dans cette affaire », dénonçait un des lésés de l’opération. Il est clair aujourd’hui que les grands projets infrastructurels sont devenus le moyen par excellence pour certaines élites de se remplir une fois encore les poches. Tout cela en profitant de leurs positions privilégiées au sein du pouvoir.
Jean-Bruno Tagne
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