mercredi, 19 août 2020 07:53 Nicole Ricci Minyem
Quelques éléments de réponse sont apportés dans cet entretien que nous a accordé Benoît Ayissi – président de la Centrale d’Etude et de Facilitation de l’Immatriculation Foncière. Un entretien qui fait suite à un article publié précédemment par l’Agence Cameroun Presse et qui pour le consultant sur les questions foncières, a laissé quelques zones d’ombre.
– Merci monsieur d’avoir accepté de nous recevoir. Pouvez – vous nous parler de la corruption et de l’arnaque dans la chaîne de traitement des dossiers d’immatriculation foncière ?
Merci de l’opportunité que vous me donnez mais, avant de répondre à votre question, il faut au préalable avoir la définition de ces mots.
La corruption pour nous autre dans le processus d’obtention du titre foncier consiste tout simplement à faire avancer le dossier malgré une irrégularité.
Si vous me permettez un exemple : Il se trouve que la plupart de ceux qui aujourd’hui, demandent l’immatriculation directe particulièrement, ne sont pas éligibles à cette procédure ; tout simplement pour n’avoir pas eux-mêmes, mis en valeur les terrains pour lesquels ils sollicitent l’immatriculation foncière.
Et, dès lors que la commission consultative constate que tel est le cas, soit parce que l’intéressé n’est pas originaire de la localité, soit parce qu’il a un âge qu’il ne devrait pas établir que c’est lui qui a fait les mises en valeur dont il s’agit.
Le système étant essentiellement déclaratif, s’il s’avère qu’au sein de la commission, quelqu’un connait la vérité et la tait, le problème de la corruption peut être établi, en ce sens que cette personne préfère garder le silence et solliciter auprès du requérant à l’immatriculation directe, un dessous de table qu’il se doit de payer, s’il ne veut pas voir ressortir l’aspect du dossier qui le rend inéligible.
Par contre l’arnaque, c’est ce procédé qui veut que le dossier ne pose aucun problème sur sa forme, pour être traité et avancé. Mais, l’agent chargé de le traiter ne fait rien, ou alors trouve mille et une excuses, les unes les plus fallacieuses que les autres, pour retarder le traitement du dossier.
Même s’il ne le dit pas clairement, les autres dont les dossiers passent ont graissé la patte et après avoir attendu longtemps, vous vous trouvez dans l’obligation de donner une enveloppe si vous voulez voir le vôtre aboutir.
Et, cette arnaque peut être sourde ou alors ouverte. Ceux qui jouent la carte de la franchise vont donner les raisons pour lesquelles le dossier n’avance pas et certains n’hésitent pas à exiger la somme exacte que le demandeur de l’immatriculation directe doit verser, s’il veut voir le processus aboutir.
– Que prévoit la loi dans ces cas de figure ?
La loi prévoit qu’on puisse faire des dénonciations auprès des services compétents. Malheureusement, il faut comprendre que pour ceux qui généralement ne remplissent pas les conditions d’éligibilité à une procédure donnée, ils font feu de tous bois pour que leurs dossiers avancent.
– Quelles sont les conditions d’éligibilité ?
Les conditions d’éligibilité sont par exemple avoir mis le terrain en valeur avant le 05 Août 1974 – Posséder ou Disposer d’un terrain qui ne fait pas l’objet d’opposition soit par quelqu’un, soit par un riverain. Ce sont entre autres des conditions qui peuvent parfois bloquer le dossier et qu’il faut absolument résoudre avant toute autre démarche.
– Vous avez parlé de la problématique que pose l’âge. De quoi s’agit – il exactement ?
L’âge requis fait l’objet vraiment d’un débat pour la simple raison que le texte de loi, c’est-à-dire l’ordonnance de 74 et son décret d’application disent qu’il faut avoir mis le terrain en valeur avant le 05 Août 1974.
Et donc, pour ceux qui sont nés un peu avant, ou après rencontrent des difficultés, parce que vous avez des responsables des services qui disent que qu’il faut être né en 1968 ou en 1967 parce qu’en 1974, vous auriez eu 7 ou 8 ans. Ce qui peut justifier que vous puissiez dire que vous avez participé à côté de vos parents, à la création du champ qui est la manifestation de sa mise en valeur.
D’autres responsables, chargés du traitement des dossiers vont vous dire qu’il n’est pas normal que quelqu’un né quelques jours avant le 05 Août 1974, d’un parent qui a réalisé des mises en valeur sur un terrain, que ce dernier ne puisse pas, le moment venu, demander requérir une immatriculation directe dudit terrain.
Il y a aussi certains responsables dans ces services, qui sont nés bien après le 05 Août 1974 et qui estiment qu’il s’agit d’une hérésie de demander à quelqu’un de leur âge qui signe les immatriculations foncières ne soient pas à même de bénéficier de cette procédure, la plus simple et la moins coûteuse.
Tout se passe donc au gré des appréciations faites par les uns et les autres, selon qu’on se retrouve dans telle ou telle autre partie du pays mais, comme on dit que la loi c’est la loi, à certains moments, on trouve que c’est dommage ; parce qu’en matière foncière, le texte qui devrait amoindrir la pénibilité qu’on endure par rapport à l’application des ordonnances de 1974 et de leur décret d’application de 1976 et de 2005, ce n’est que la loi sur le cadastre.
– Et que dit cette dernière ?
C’est une loi qui vient évacuer la plupart des incongruités qui existent dans les précédents textes. Elle dit très simplement que chaque préfet, doit créer dans chaque commune, une commission administrative, chargé de descendre dans les différents villages, procéder à l’identification de toutes les parcelles de terrain occupées ou exploitées.
Et quand j’ai dit cela, je n’ai pas évoqué une date limite qui devrait être respectée, pour une mise en valeur que la commission administrative en question doit venir trouver sur le terrain. Ce qui importe ici c’est l’accord des limites définies entre les riverains, des différentes parcelles qui font l’objet de l’enquête de la commission administrative et l’unique chose à faire est de construire des bornes, conformément aux accords entre les parties.
Après cette étape, la commission administrative procède aux levées topographiques afin de situer le terrain sur l’ensemble du territoire national et s’occupe à prendre des informations liées à l’identité des différents riverains. Toutes les informations recueillies seront inscrites au livre foncier de la conservation territorialement compétente.
A charge pour le propriétaire terrien, lorsque le délai sera épuisé, d’aller vers le conservateur pour avoir une copie du titre foncier après vérification que toutes les informations ont fidèlement été portées dans le livre foncier.
Les seules dépenses à faire sont les timbres (13 mille Frs) qui seront apposées sur le titre foncier et 1frs le mètre carré pour la redevance foncière en campagne ou 5 frs si le terrain est en ville.
– Quel est le rôle des Chefs traditionnels dans ce cas de figure ?
Les chefs traditionnels sont au centre de ce procédé, pour la simple raison que le texte de 1977 qui définit leur fonction dit en son article 21 que ceux – ci ont le pouvoir de régler les problèmes entre leurs administrés. Lorsqu’un problème se pose, le Chef avec ses notables descendent sur le terrain afin d’apprécier les faits, le résolvent et viennent établir un procès-verbal qui dit ce qui a été arrêtée comme décision. Quel que soit la suite que pourrait connaître le litige, nul ne pourrait dire le contraire de ce qui est rédigé sur le procès-verbal de la propriété foncière coutumière.
Pourquoi donc ne pas exploiter ces textes à titre préventif ? Cela signifie qu’un chef convoque l’ensemble de ses administrés afin d’amener les uns et les autres à faire le contournement de leurs terrains respectifs. Après cette étape et suite au contrôle fait, il s’est avéré que des conflits qui duraient au niveau des limites entre voisins ont été facilement réglés parce que les intérêts des uns et des autres ont pu être préservés.
– Que pouvez – vous dire à propos des problèmes liés à l’accaparement des terres qui font l’objet de moult débats actuellement ?
Quand ce problème est posé, je suis gêné de savoir que lors des luttes des indépendances, nos aînés et parfois nous-mêmes ne nous sommes pas inquiétés de la manière dont les occidentaux sont venus s’accaparer de nos terres, en estimant que dès lors qu’ils ont trouvé ta petite cabane quelque part, et vu le petit coin où tu fais ton champ, ils estiment que c’est ce qui t’appartient. Tu n’as aucun droit de regard sur les terres environnantes. Un héritage qui a été préservé et reconduit par les autorités et qui perdure jusqu’à ce jour.
Pour répondre directement à votre question, je dirais que le problème de l’accaparement et de toutes les polémiques qui se développement autour viennent de ce que j’ai relevé plus haut ; en ce sens qu’avant que les gouvernants ne décident d’amener tel ou tel autre projet à tel endroit, s’il était possible que les autorités traditionnelles qui mieux que toutes autres personnes, maîtrisent qui a eu à faire quoi, ou alors, quelle communauté a eu à faire quoi …établissaient les limites, cela aurait permis, grâce à un procès-verbal, complété par un croquis que l’on obtient par contournement de l’espace d’éviter la quasi majorité de ces problèmes.
Vous savez, dans ce genre de revendications, quand bien même l’Etat recule, comme on l’a vu avec le problème de la vallée du Ntem, ou encore par rapport à de la forêt Ebo, où les Banen estiment qu’on les a chassés il y’a plus de 50 ans.
Quand les populations vont reprendre ces terrains, est ce que ce n’est pas à ce moment que les machettes vont sortir, puisque qui saura à quel niveau se trouve sa limite ? Par rapport à qui ?
– A quel niveau peut donc intervenir le procédé que vous proposez ?
Le procédé que nous proposons, et que nous souhaitons voir réalisé le plus tôt possible sur l’ensemble du territoire, c’est qu’avant que l’on ne se retrouve dans les cas que nous vivons là, il est important de procéder à la limitation des limites qu’ils prétendent détenir et d’avoir un titre foncier.
Quitte à ce que lors de la matérialisation de la parcelle, qu’il ressorte que la partie mise en valeur soit reconnue par les communautés voisines comme étant la forêt, la savane ou la terre de tel ou tel autre village. Que tout cela soit clairement défini sur le plan coutumier.
Ce qui va permettre que lors de l’arrivée des projets, que ces derniers aboutissent ou non, vous saurez avec exactitude, ce qui vous revient de droit. Cette méthodologie peut être faite de façon collective ou individuelle.
Là où les populations sont touchées, les chefs traditionnels peuvent reprendre à leur compte personnel, l’immatriculation des terres ; de manière à ce que lorsque les négociations vont reprendre, qu’elles se fondent dans le sens de la préservation durable des intérêts de la population.
Vous savez, que ce soit au niveau de la vallée du Ntem ou partout ailleurs, il s’agit des projets économiques. Lorsque les investisseurs injectent leur argent, ils attendent tirer des dividendes. Les capitaux qu’ils injectent dans les projets ont des éléments constitutifs. Certains peuvent apporter de l’argent frais, d’autres la terre.
Tous ces apports sont évalués, au point d’établir les pourcentages des apports des uns et des autres en capital. De manière à ce qu’aussi longtemps que cette terre, va figurer dans le capital d’une entreprise quelconque, les propriétaires de la terre exploitée, au finish iront, chaque fin d’exercice percevoir leur part de dividende.
A charge pour eux, s’ils veulent vendre leur part du capital ou alors agir en tenant compte de l’avenir de leurs descendants.
– Un dernier mot ?
Je souhaite que les autorités, chargées des procédures d’immatriculation, de la sécurisation foncière appuient la Centrale d’Etude et de Facilitation de l’Immatriculation Foncière. Cela va nous faciliter la tâche et permettre que les autorités traditionnelles qui sont encore dubitatives, puisqu’il s’agit d’une innovation, choisissent d’implémenter notre approche et cela sera bénéfique pour notre pays, à tous les niveaux.
Nicole Ricci Minyem, Agence Cameroun Presse